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Le multiculturalisme : regards croisés autour d’un concept

Visuel de l'article de blogue Concepts et savoirs 3

Nous vous présentons déjà le dernier billet de blogue de l’édition 2022 du projet Concepts et Savoirs !

Ce projet vise à contribuer à la valorisation du corpus scientifique disponible sur la plateforme erudit.org, et s’attarde sur la définition de notions et de concepts autour d’un thème central, le tout dans un esprit pédagogique permettant la diffusion du savoir au grand public.

La thématique 2022 portant sur l’identité était coordonnée par Michelle Edwige Jeanne Martineau, doctorante en science politique à l’Université de Montréal.

Consultez ici les autres billets de la série.

Bonne lecture!

Depuis quelques décennies, le multiculturalisme fait l’objet de l’actualité tant au Québec, au Canada que dans le reste du monde. Ayant fait son apparition sur la scène politique canadienne dès le milieu des années 1960, le multiculturalisme a, tout comme la langue, une volonté d’affirmer l’identité d’une nation. Cela passe par la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle présente sur un territoire en prônant une coexistence entre les différentes cultures.

Remplaçant le biculturalisme, le multiculturalisme se politise au fil des années : ce sera par exemple, en 1973, la création du ministère du Multiculturalisme et du Conseil ethnoculturel du Canada. C’est également l’application de la Politique du multiculturalisme dans les autres provinces canadiennes, mais aussi à la Cour suprême du Canada à travers la Charte canadienne des droits et libertés. Mais comment le multiculturalisme fait-il partie intégrante de la politique canadienne ? Quelles sont sa définition et les réflexions l’entourant ? Ce troisième et dernier billet vise à revenir sur l’aspect théorique et empirique de la notion du multiculturalisme, en lien étroit avec l’identité, façonnant la politique moderne canadienne dans son ensemble.

 

Valoriser la diversité culturelle, ethnique et raciale d’une nation

Bien que le multiculturalisme puisse souffrir de polysémie, on s’accorde à définir la notion comme étant un « programme ou un régime politique visant à la valorisation et la promotion du pluralisme culturel au sein d’une société donnée » (Bénichou 2006).

Selon le dictionnaire Larousse, le multiculturalisme se définit notamment comme un « courant de pensée américain qui remet en cause l’hégémonie culturelle des couches blanches dirigeantes à l’égard des minorités (ethniques, culturelles, etc.) […] ». Perçu comme une politique de progrès, d’ouverture et synonyme de modernité, le multiculturalisme s’oppose au biculturalisme, défini comme un régime politique permettant la coexistence de deux cultures nationales sur un même territoire. Le multiculturalisme fut, au fil du temps, un modèle de politique d’intégration en termes de reconnaissance d’un pluralisme culturel à l’échelle nationale faisant valoir les particularismes identitaires.

Pourtant, son apparition dans les débats publics ne date pas d’hier. Au regard de la littérature, le multiculturalisme s’apparente à l’ethnicité et à la construction d’une nation moderne. Selon l’analyse de Miroslav Hroch (1995), parler de multiculturalisme revient à étudier le processus d’édification d’une nation vers la modernisation. Celle-ci passe par une ethnicisation de la nation où les membres de la communauté ethnique engagent un processus « d’agitation nationale » venant mettre à mal les antimodernistes (membres du mouvement social ou politique traditionaliste), mais également en souhaitant une nouvelle identité nationale (Hroch 1995).  De cette modernité, le multiculturalisme met en avant la question identitaire ou encore la notion de citoyenneté.

 

Le multiculturalisme, le politique et l’identité

Au-delà de sa définition, le multiculturalisme entretient des rapports étroits avec la politique, mais aussi l’identité. Par exemple, les travaux de G. Nootens nous amènent à nous questionner sur la notion de citoyenneté dans le cadre d’une identité postnationale, le tout sous fond de modernité (Nootens 2008). S’appuyant sur le concept de territorialité (champ d’application d’une règle limité à un espace territorial), l’auteure en vient à s’interroger sur la portée de la citoyenneté et sa signification dans un État national moderne. Ceci relançant la réflexion autour de la redéfinition des identités politiques avec, pour exemple, l’identité postnationale (basée sur les travaux d’Habermas).

Outre cette analyse, il s’agit ici de défendre l’idée selon laquelle la mondialisation et d’autres éléments favorisent l’apparition d’identités multiples et complexes ayant des répercussions sur la scène politique nationale d’un territoire : « […] la prolifération d’acteurs transnationaux aussi bien que certaines logiques infranationales (décentralisation, régionalisation, mobilisation associative) et la mobilité croissante des individus au sein du système international semblent avoir un impact sur l’allégeance citoyenne. » (Nootens 2008, 100).

Concernant la question de la citoyenneté, J-L Gignac (2008) établit une analyse comparative de trois auteurs, à savoir Charles Taylor, Michael Walzer et Will Kymlicka, en tentant de situer le « multiculturalisme et la politique de la différence identitaire dans le cadre de la démocratie moderne. » L’auteur en vient à émettre des réserves quant au côté idéaliste que peut représenter la notion du multiculturalisme qui n’est pas forcément synonyme « d’émancipation identitaire ». Il insiste sur le fait que la politique de la reconnaissance du pluralisme culturel équivaut également à un certain contrôle : « Parler d’identité peut tout autant contribuer à surveiller, à contrôler et à discipliner les rapports sociaux qu’à les affranchir. Parler de l’autre, le définir et lui donner des droits c’est aussi une manière de le neutraliser et de limiter ses pouvoirs. C’est risquer de le limiter en l’enfermant dans sa zone identitaire. » (Gignac 2008, 65).

 

Multiculturalisme versus interculturalisme : l’exemple du cas québécois

Le multiculturalisme fait l’objet d’études diverses et variées : le Canada et notamment le Québec sont généralement des sujets propices aux enquêtes de terrain des chercheur.euse.s. travaillant sur ces problématiques. C’est le cas par exemple de S. Courtois où, l’intitulé de son article est limpide comme de l’eau de roche : « La politique du multiculturalisme est-elle compatible avec le nationalisme québécois ? » Arguant le fait que le « nationalisme québécois ne s’oppose en rien à une politique de multiculturalisme », il précise toutefois que le nationalisme québécois chasse le type de multiculturalisme promu par la fédération canadienne sur son territoire qui « peine à reconnaître la composition multinationale du Canada et, en conséquence, l’existence d’une nation québécoise » (Courtois 2010). Par la suite, l’idée selon laquelle le nationalisme québécois et le multiculturalisme seraient en opposition est une affirmation à mettre de côté selon l’auteur : le Québec est une terre valorisant la diversité culturelle puisqu’elle est une « culture libérale, démocratique et pluraliste » et les politiques linguistiques mises en place sont adaptées au multiculturalisme en soulignant que l’identité nationale défendue par le nationalisme québécois « n’est pas différente de celle promue par la plupart des démocraties libérales à travers le monde » (Courtois 2010, 72).

C’est en ce sens que la notion d’interculturalisme fait son apparition : en opposition avec la notion de multiculturalisme, il s’agit de faciliter un développement de valeurs communes au sein d’une société. Il n’y aura pas de « valorisation et promotion des groupes ethniques » au sein du territoire comme c’est le cas pour le multiculturalisme (Bouchard 2011).  À la suite des consultations donnant lieu à la Commission des consultations sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles en 2007, une analyse réflexive est engagée autour de la notion d’interculturalisme, présentée comme un « modèle d’intégration et de gestion de la diversité ethnoculturelle » adapté spécifiquement pour la province québécoise. Il termine son article en soulignant l’un des objectifs premiers de l’interculturalisme qui s’appuie principalement sur la notion de démocratie, mais également favorise « la capacité de réaliser des consensus sur des formules de coexistence pacifique » entre citoyen.ne.s venant d’origine ethnique et culturelle différente. La préférence pour l’interculturalisme face au multiculturalisme est notamment due à une volonté de préserver la francophonie québécoise qui, selon l’auteur, « n’a pas les moyens de s’affaiblir en creusant des clivages durables au sein de la nation. Elle a besoin de toutes ses forces ; son avenir passe par une intégration respectueuse de la diversité. »

Créolisation, langue, multiculturalisme, autant de notions/concepts reliées à l’identité. Depuis quelques années, ce sujet revient au cœur de l’actualité politique, sociale et culturelle à la fois au Québec, mais aussi dans le reste du monde. Les médias ont eu la possibilité de relayer à de nombreuses reprises des informations liées à ces enjeux, sans pour autant entrer dans les détails. Il est sans conteste que l’identité soulève bon nombre d’interrogations, amenant les chercheur.euse.s à travailler sur ces notions et à faire avancer la réflexion. L’aspect politique, notamment avec les enjeux liés à la création d’un État-nation, la valorisation de la culture ou encore la place des minorités visibles au sein d’un État restent des sujets brûlants et sensibles. Mais il est important d’aborder ces problématiques, le tout dans un esprit de pédagogie pour permettre la diffusion du savoir, et ce dans son intégralité.

 

Consultez ici les autres billets de la série Concepts et Savoirs.

Bibliographie 

Hroch, M. (1995) De l’ethnicité à la nation. Un chemin oublié vers la modernité. Anthropologie et Sociétés, 19(3), 71–86. https://doi.org/10.7202/015370ar

Dans cet article, l’auteur s’interroge sur la manière dont les groupes ethniques se sont transformés en nations dans la modernité. Il soutient qu’on ne peut étudier cette transition sans analyser la modernisation et la rupture des liens, des valeurs et des identités que celle-ci induisit dans le monde d’hier.

 

Gignac, J. (1997)  Sur le multiculturalisme et la politique de la différence identitaire : Taylor, Walzer, Kymlicka. Politique et Sociétés, 16(2), 31–65. https://doi.org/10.7202/040066ar  

À travers la pensée de Charles Taylor, Michael Walzer et Will Kymlicka, il s’agit de de situer le multiculturalisme et la politique de la différence identitaire dans le cadre de la démocratie moderne. Au-delà de l’analyse de ces trois penseurs, l’article montre de plus que le multiculturalisme contient certains pièges : il peut notamment favoriser les groupes de pression particularistes et les idéologies du ressentiment.

 

Adam, H. (1995). Les politiques de l’identité. Nationalisme, patriotisme et multiculturalisme. Anthropologie et Sociétés, 19(3), 87–109. https://doi.org/10.7202/015371ar

Le présent article présente plusieurs théories du nationalisme, y compris les perspectives primordialistes et sociobiologiques de la solidarité ethnique où la mobilisation politique par des élites nationalistes, les causes socio-historiques de ressentiments réels ou imaginaires expliquent mieux pourquoi l’identification à un groupe prévaut dans certaines situations et l’individualisme cosmopolite dans d’autres. Le patriotisme citoyen sans égard à l’origine demeure le fondement le plus sûr à l’égalité et à la loyauté dans les États multiethniques.

 

Courtois, S. (2007). La politique du multiculturalisme est-elle compatible avec le nationalisme québécois? Globe, 10(1), 53–72. https://doi.org/10.7202/1000079ar

En prenant comme exemple le cas du Canada puis du Québec, l’auteur entend montrer que le nationalisme québécois ne s’oppose en rien à une politique de multiculturalisme en démontrant notamment que le nationalisme québécois ne rejette pas le multiculturalisme en tant que tel mais le type de multiculturalisme promu à l’intérieur de la fédération canadienne, qui peine à reconnaître la composition multinationale du Canada.

 

Nootens, G. (1999). L’identité postnationale : itinéraire(s) de la citoyenneté dans la modernité avancée. Politique et Sociétés, 18(3), 99–120. https://doi.org/10.7202/040193ar

Le présent article vise à souligner certains de ces processus, qui modifient le rôle de l’État et l’allégeance citoyenne, contribuant par le fait même à redéfinir les identités politiques. Une brève présentation de la thèse habermassienne sur l’identité postnationale permet de soulever certaines considérations reliées à l’émergence et l’articulation d’identités postnationales dans ce contexte.

 

Bénichou, Meidad. Le Multiculturalisme. Éditions Boréal, 2006.

Ouvrage de référence. L’auteur analyse la notion de multiculturalisme en s’attardant sur le cas français pour illustrer ses propos. Il est fait mention de la relation entre le multiculturalisme et son rapport à l’identité, au principe d’égalité républicain ou encore à l’individualisme.

 

Bouchard, G. (2011). Qu’est ce que l’interculturalisme ? / What is Interculturalism? McGill Law Journal / Revue de droit de McGill, 56(2), 395–468. https://doi.org/10.7202/1002371ar

L’auteur présente l’interculturalisme comme modèle d’intégration et de gestion de la diversité ethnoculturelle. Il s’inspire du parcours québécois amorcé depuis les années 1960-1970, mais aussi de la réflexion et des expériences conduites en Europe où la philosophie interculturaliste a d’importantes racines. Au Québec, l’interculturalisme bénéficie présentement de larges appuis dans la population (comme l’ont montré les audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor), mais fait aussi l’objet d’importantes critiques.