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Synthèse du colloque « Perspectives sur la publication et les revues savantes » – 2e partie

Le colloque Perspectives sur la publication et les revues savantes : évolution du libre accès, des pratiques d’évaluation et des nouvelles possibilités de recherche, qui s’est tenu les 11 et 12 mai 2023 dans le congrès annuel de l’Acfas, a été organisé par l’équipe d’Érudit sous la direction scientifique de Vincent Larivière, professeur à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire Unesco sur la science ouverte. Les revues étaient au cœur de ces deux journées, qui ont rassemblé de nombreux acteurs du milieu de la publication savante au Québec, au Canada et à l’international.

Cette synthèse est publiée en deux parties et elle est également disponible en anglais. Voir la partie 1.

Ce deuxième billet propose une synthèse de la journée du 12 mai, concentrée sur la situation des revues québécoises suite à l’adhésion des Fonds de recherche du Québec à la cOAlition S en 2021. La présentation du Plan S par Johan Rooryck a été suivie de deux tables rondes, la première présentant la perspective de trois revues sur le passage au libre accès et la seconde les différentes formes de soutien dont les revues peuvent bénéficier, notamment de la part des bibliothèques universitaires.

Le Plan S, levier pour la transition vers le libre accès

La présentation de Johan Rooryck (cOAlition S – ESF) portait sur les principes et les objectifs du Plan S élaboré par la cOAlition S, un regroupement d’agences européennes de subvention de la recherche. Née du sentiment de frustration devant la faible proportion de la recherche mondiale publiée en libre accès, n’atteignant que 55% vingt ans après la Budapest Open Access Initiative de 2002, le Plan S vise à accélérer la transition des publications savantes vers le libre accès. Au départ, les revues hybrides semblaient prometteuses pour effectuer ce passage : il s’agit de revues dont l’essentiel des articles est en accès restreint, requérant un abonnement, mais dont certains articles paraissent en libre accès contre paiement par l’auteur ou l’autrice de frais de publications (Article Processing Charges, APC). Or, on constate aujourd’hui que non seulement le taux de libre accès stagne, mais que la hausse du prix des abonnements comme des APC est incontrôlable. Dans le même temps, les équipes de recherche demeurent enfermées dans des évaluations basées sur des indicateurs commerciaux et contestables comme le facteur d’impact. Pour ce qui concerne le libre accès, le Plan S prévoit trois voies possibles : (1) le libre accès or ou diamant, (2) les dépôts institutionnels en libre accès et (3) les revues sous accords transformants. Cette troisième voie s’est néanmoins avérée décevante puisqu’elle se traduit dans les faits par le maintien des revues hybrides, aussi la cOAlition S arrêtera-t-elle de la soutenir à partir de décembre 2024. Articulé à la généralisation du libre accès, le Plan S vise à permettre à la communauté universitaire de reprendre l’initiative dans la publication scientifique, ce qui passe par la stratégie de non-cession des droits d’auteur aux revues, principalement quand elles appartiennent aux multinationales de l’édition commerciale. Ainsi, outre le libre accès immédiat des articles, le Plan S préconise l’usage de la licence Creative Commons By Attribution (CC-BY). Suivant l’observation que seul le libre diamant est réellement équitable et ancré dans les communautés de recherche et le seul à même d’assurer une réelle bibliodiversité, notamment linguistique, le Plan S appuie le renforcement des infrastructures de diffusion non commerciales comme Érudit. Or, bien qu’il soit le modèle majoritaire au niveau mondial, le libre accès diamant est très fragmenté : un travail de fédération de ces revues, qui partagent nombre d’enjeux, est à entreprendre.

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Passer au libre accès : la perspective des revues savantes québécoises

L’après-midi du 12 mai était consacrée à deux tables rondes centrées sur la situation des revues savantes québécoises dans le contexte actuel de généralisation du libre accès. Celles-ci ont été introduites par une présentation d’Érudit par Tanja Niemann et Élise Bergeron (Érudit), une initiative à but non lucratif ancrée dans la communauté universitaire depuis 1998 qui diffuse aujourd’hui plus de 200 revues savantes et près de 150 000 articles, dont 98% sont en libre accès. Au cours de l’année financière 2021-2022, Érudit a opéré avec un budget annuel de 4,3 millions de dollars issu de trois sources : les universités fondatrices (11%), les subventions d’infrastructures de recherche (35%) et les services aux bibliothèques et aux revues (54%). De ce budget, un montant de 2 millions de dollars a été reversé aux revues sous forme de redevances aux revues sous abonnement, soit ayant une barrière mobile de 12 mois, et de soutien au libre accès pour les autres. Dans les dernières années, le travail d’Érudit s’est concentré sur l’accompagnement des revues dans leur passage au libre accès, dont le Partenariat pour le libre accès (POA) est un élément clé. Élaboré en collaboration avec les bibliothèques du Réseau canadiens de documentation pour la recherche (RCDR), le POA est un modèle collectif de soutien financier continu aux revues savantes canadiennes diffusées sur la plateforme d’Érudit. Il rassemble bibliothèques et revues pour créer un environnement de libre accès équitable et pérenne au Canada. La première entente du POA a été signée en 2018 pour cinq ans, offrant une certaine visibilité financière aux revues qui envisageaient de passer au libre accès. Cette entente historique a été prolongée jusqu’en 2024, permettant à Érudit et aux revues de s’adapter aux changements des différentes politiques de libre accès. 

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La prise de parole des revues a été ouverte par Francis Fortin (Université de Montréal), membre du comité de rédaction de Criminologie, Forensique et Sécurité (CFS), qui a rapidement présenté cette revue francophone nouvellement fondée. Il s’agit d’une publication en libre accès, paraissant sous licence CC-BY et sans frais aux auteurs et autrices, qui conservent leurs droits. 

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Une table ronde suivait, qui rassemblait les responsables de trois revues savantes québécoises, présentant les réflexions et le travail conduits en matière de libre accès. Marc-André Éthier (Université de Montréal) et David Lefrancois (Université du Québec en Outaouais) dirigent la Revue des sciences de l’éducation, fondée en 1974, publiant exclusivement en français et sous barrière mobile. Sarah-Maude Bélanger et Pénélope Chabot (Université de Sherbrooke) représentaient la Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, fondée en 1970, publiant en anglais et en français et désormais en libre accès immédiat. Samuel Dinel (Université Laval) coordonne Relations industrielles / Industrial Relations, une revue bilingue fondée en 1945 ayant récemment passée au libre accès. L’ensemble des panélistes ont fait part des inquiétudes et de la précarité financière associées à un passage au libre accès, qui requiert un soutien continu et de la visibilité pour faire face à ces bouleversements.

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L’écosystème de la publication savante et les structures de soutien aux revues

Dans un contexte en changements constants, qui tendent à fragiliser des pratiques longtemps en usage au sein des équipes des revues savantes, il est important de souligner les différentes sources de soutien à la publication savante au Québec et au Canada. Jessica Clark (Consortium Érudit) a présenté l’offre de services de Coalition Publica, un partenariat entre Érudit et le Public Knowledge Project établi en 2017. Coalition Publica promeut une transition équitable et pérenne vers le libre accès grâce à une infrastructure nationale ouverte et non commerciale qui associe érudit.org et le logiciel ouvert Open Journal Systems (OJS), un outil de gestion éditoriale, de suivi des évaluations par les pairs et des communications avec les auteurs et les autrices. Il s’agit donc de relier l’environnement décentralisé d’OJS, où les revues canadiennes existent comme un archipel, à la diffusion centralisée d’Érudit afin de consolider l’intégration du milieu de la publication savante non commerciale canadienne. Au centre de cet écosystème se trouvent les revues et les chercheurs et chercheuses. Il comporte également les bailleurs de fonds, qui offrent un soutien financier aux revues et qui développent des politiques visant à orienter l’évolution du milieu. Les bibliothèques universitaires soutiennent directement les revues grâce aux services qu’elles offrent au sein de leurs établissements. Ces acteurs travaillent ensemble pour qu’une transition vers le libre accès soit possible, durable et équitable

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Stéphanie Gagnon, directrice générale de la Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal, a présenté le Partenariat des bibliothèques universitaires du Québec (PBUQ), dont l’objectif est d’instaurer une vision commune du rôle des bibliothèques dans le soutien aux revues savantes. Il est composé d’un comité stratégique de soutien des bibliothèques aux revues et d’un groupe de travail sur les services de soutien des bibliothèques aux revues. Dany Bouchard a présenté les services en soutien à la recherche des bibliothèques de l’Université du Québec à Montréal dont il est le directeur. Créée en 2017, cette structure offre un service de révision, de traduction et d’indexation mais aussi un ensemble de guides à l’attention des équipes éditoriales et un appui à l’usage d’OJS. Le service offre aussi un accompagnement pour toutes les questions relatives aux droits d’auteur, aux licences, au référencement, au financement et à la gestion des données de recherche. Jason Friedman a présenté le Réseau canadiens de documentation pour la recherche (RCDR), un consortium regroupant 79 bibliothèques universitaires et cinq établissements de recherche au Canada. En tant que consortium de bibliothèques, le RCDR négocie des ententes avec les diffuseurs de contenu et les maisons d’édition pour permettre à la communauté universitaire des établissements membres d’accéder aux revues nécessaires à leurs missions d’enseignement et de recherche. Dans l’objectif de démocratiser l’accès au savoir, le RCDR vise à conclure des ententes qui diminuent les frais d’abonnements et accroissent le libre accès.

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L’Association canadienne des revues savantes (ACRS/CALJ), qui regroupe 73 revues, était présentée par Gillian Lane-Mercier (Université McGill), directrice de la revue TTR Traduction, terminologie, rédaction. L’Association offre un certain nombre de services aux équipes éditoriales des revues membres, développe et favorise des initiatives qui s’inscrivent dans l’écosystème de la publication savante canadienne et renforce les liens entre les revues et d’autres acteurs de l’écosystème.

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Conclusion

Ces deux journées de colloque ont proposé un état des lieux de la publication savante en situant l’écosystème canadien au sein des principales dynamiques mondiales, dont l’émergence et la formation datent de la seconde moitié du 20e siècle. Les logiques qui y prévalent sont inséparables des usages en matière d’évaluation de la recherche, qui accordent un poids démesuré aux revues indexées dans les bases de données commerciales. L’écosystème canadien de la publication savante, particulièrement en sciences humaines et sociales, se caractérise au contraire par son caractère sans but lucratif, ancré dans les communautés de recherche. Dans le contexte actuel de généralisation du libre accès, nombre de ses acteurs pratiquent et promeuvent le modèle le plus équitable, le libre accès diamant. Il contraste avec la facturation de frais de publication aux auteurs et aux autrices, qui sont autant d’obstacles à la publication et dont l’augmentation est incontrôlable. L’implantation et la pérennité du libre accès diamant requièrent un engagement financier de la part des établissements et des organismes subventionnaires signifiant essentiellement une réorganisation des flux financiers en circulation entre les différents acteurs du milieu. Ainsi, pour les revues canadiennes et québécoises, la généralisation du libre accès est la caractéristique déterminante de leur contexte actuel de fonctionnement, qui affecte aussi bien leurs finances que leurs opérations. Leurs demandes en matière de soutien portent certes sur les montants des subventions, mais aussi sur leur prévisibilité. Le soutien institutionnel est aussi un facteur décisif du bon déroulement de cette transition, qui est notamment assuré par l’expertise et l’accompagnement offerts par les bibliothèques universitaires.