Comme le dit notre directeur scientifique Vincent Larivière (2014), « les revues canadiennes et québécoises permettent la diffusion des travaux de recherche sur les thématiques nationales, et bénéficient d’une utilisation bien plus importante que la moyenne des revues internationales. » (De l’importance des revues de recherche nationales, Acfas, 2014).
Mais quelles sont les caractéristiques saillantes de nos revues nationales ? Dans le cadre du Partenariat pour le libre accès, nous vous présentons ici un aperçu de plusieurs travaux de recherche récents qui permettent de mieux connaître ces revues.
Une réalité éclatée et complexe
Une enquête menée sur la réalité socio-économique des revues savantes canadiennes (Paquin et al., 2015) dresse un portrait plutôt éclectique. En effet, ces revues fonctionnent avec diverses structures éditoriales, parfois de manière totalement indépendante, parfois avec le soutien d’universités, de sociétés savantes ou encore d’associations. De même, les revenus proviennent de sources variées : de subventions de la part d’associations, d’universités et de facultés, ainsi que de la vente d’abonnements et d’éditions imprimées.
En outre, « 25 % d’entre elles offrent un libre accès complet et immédiat, 13 % le font au terme d’un embargo de 12 mois et 26 % après un embargo de 24 mois. Seulement 36 % des revues […] imposent de strictes restrictions de consultation » (Paquin et al., 2015). Il faut également souligner que plus de 200 revues savantes canadiennes sont diffusées selon un modèle sans but lucratif (ACRS, 2019). Nous pouvons donc conclure qu’il n’y a pas qu’un seul modèle de revue savante canadienne, mais bien une multitude.
Les revues nationales, une contribution essentielle à la recherche
Phénomène répandu un peu partout dans le monde, les revues savantes en sciences humaines et sociales tendent à développer un champ d’études national, puisque celles-ci se préoccupent de tendances sociales influencées, entre autres, par les sociétés et les nations (Fortin, 2018). Si l’on prend le cas du Québec, 36,6 % des articles publiés dans les revues nationales canadiennes, tant en français qu’en anglais, abordent des thématiques reliées au Québec ou au Canada (Larivière, 2018). Alors pourquoi semble-t-il que nous délaissions nos revues nationales en faveur de publications internationales?
Dans le cas des pays dont la langue principale n’est pas l’anglais, l’internationalisation de la communication savante découle souvent d’un besoin accru de visibilité et de crédibilité de la part de la communauté scientifique, ce qui se traduit, entre autres, par une transition vers l’anglais, puisque la plupart des revues savantes internationales publient dans cette langue (Pajic, Jevremov et Skoric, 2019). En effet, au Québec comme en Chine, les chercheurs publient de moins en moins dans leur langue nationale (Warren et Larivière, 2018). Ceci dit, alors que les résultats de recherche diffusés dans des revues internationales ne concernent parfois que les régions à l’étude, certains travaux publiés dans des revues nationales peuvent également avoir un impact mondial, signe que l’internationalisation n’est pas synonyme d’universalisme au sens mertonien du terme (Warren et Larivière 2018).
L’internationalisation offre certes certains avantages, mais les désavantages abondent également. Plus spécialement, « en tentant de devenir internationales, les revues des SHS risquent d’occuper une sorte de « no man’s land ». Dans leur hâte de s’internationaliser en passant à l’anglais et en déplaçant leurs objets d’étude, elles perdront contact avec leur communauté nationale sans être pleinement reconnues par la communauté mondiale » (Pajic et Jevremov, 2014, cités dans Warren et Larivière, 2018).
Se doter des bons indicateurs de mesure
Comme l’explique Vincent Larivière (2014), les revues nationales publiant des articles dans une langue autre que l’anglais ne possèdent souvent pas de facteur d’impact (FI) ou Journal Impact Factor (JIF) – publié annuellement dans le Journal Citation Reports de la firme Clarivate Analytics (anciennement Thomson Reuters) –, puisqu’elles sont beaucoup moins souvent indexées dans la base de données Web of Science, ce qui peut donner l’impression qu’elles ont peu d’impact scientifique. D’où le besoin ressenti par la communauté scientifique en SHS pour une visibilité accrue et une plus grande reconnaissance quantifiée.
Le facteur d’impact, basé sur le nombre de citations reçues par les articles d’une revue pendant une période donnée, ne donne qu’un aperçu (très limité) des différentes fonctions accomplies par les revues savantes (Wouters et al., 2019). La preuve : l’exemple des revues nationales publiant dans une langue autre que l’anglais cité plus haut. En effet, la communauté en SHS s’entend pour dire que les indicateurs d’impact ne sont pas aussi universels que l’on pense, mais aucun consensus n’a été atteint sur les stratégies à adopter pour contrer les limitations de ces indicateurs. Selon Pajic, Jevermov et Skoric (2019), la problématique tourne plutôt autour de deux enjeux : soit d’ajuster les indicateurs d’impact de sorte qu’ils reflètent mieux la réalité des SHS, soit d’adapter les pratiques et la culture des SHS aux nouveaux modes de production des connaissances que favorisent les indicateurs d’impact dans leur présente incarnation.
En outre, d’après Wouters et ses collègues (traduit de l’anglais par Érudit, 2019), un ensemble d’indicateurs plus nuancés permettrait de mieux représenter la réalité des revues à tous les niveaux, mais en s’assurant toutefois qu’ils soient bien « valides (reflétant le concept mesuré); compréhensibles; transparents (les données sous-jacentes des critères d’évaluation devraient être mises à la disposition de tous, avec leurs limitations et degrés d’incertitude clairement énoncés); impartiaux (les biais systématiques devraient être évités); flexibles (mis à jour lorsqu’un biais, de l’abus ou toute autre faiblesse devient apparent); reproductibles (ceux qui utilisent ces indicateurs devraient pouvoir reproduire leurs effets). »
Chez Érudit, nous comprenons les enjeux qui affectent le monde de l’édition savante et, plus particulièrement chez nous, l’effet de l’internationalisation sur les revues savantes canadiennes et la transition vers une diffusion en libre accès complet. Nous considérons qu’il est essentiel que les acteurs du milieu de l’édition scientifique collaborent de façon ouverte et rapprochée pour favoriser la bibliodiversité et une répartition juste des ressources. Ainsi, nous remercions les 96 bibliothèques universitaires qui soutiennent nos actions au travers du Partenariat pour le libre accès.
Bibliographie
- Conseil d’administration de l’Association canadienne des revues savantes (ACRS). (2019). Le point sur l’édition savante – perspective du secteur à but non lucratif au Canada. Affaires universitaires.
- Fortin, A. (2018). Penser au Québec, penser le Québec. De quelques revues de sciences sociales. Recherches sociographiques, 59(3), 411-433.
- Larivière, V. (2014). De l’importance des revues de recherche nationales. Découvrir magazine.
- Larivière, V. (2018). Le français, langue seconde ? De l’évolution des lieux et langues de publication des chercheurs au Québec, en France et en Allemagne. Recherches sociographiques, 59(3), 339-363.
- Pajic, D., Jevremov, T. et Skoric, M. (2019). Publication and citation patterns in the social sciences and humanities: a national perspective. Canadian Journal of Sociology, 44(1), 67-93.
- Paquin, É et al. (2015). Bâtir un avenir commun : Enquête sur la réalité socio-économique des revues savantes canadiennes et aperçu du modèle de partenariat pour la diffusion en libre accès.
- Warren, J. et Larivière, V. (2018). La diffusion des connaissances en langue française en sciences humaines et sociales. Les défis du nouvel environnement international. Recherches sociographiques, 59(3), 327-337.
- Wouters et al. (2019). Rethink impact factors: find new ways to judge a journal. Nature, 569, 621-623.