La table ronde « La collaboration au service de la diffusion scientifique en libre accès » était organisée le 20 octobre 2015 à l’Université de Montréal à l’occasion de la semaine internationale du libre accès.
Animée par Benoît Melançon (Presses de l’Université de Montréal, Département des littératures de langue française), cette table ronde a réuni Peter Dietsch (Département de philosophie, revue Les Ateliers de l’éthique), Vincent Gautrais (Département de droit, revue Lex Electronica), Servanne Monjour (Département de littérature comparée, revue Sens public), Tanja Niemann (Érudit), Diane Sauvé (Bibliothèques de l’Université de Montréal) et Bryn Williams-Jones (École de santé publique de l’UdeM, revue Bioéthique Online).
Nous vous présentons ici une synthèse des présentations et discussions qui ont eu lieu dans cet évènement :
Les principes du libre accès
Actuellement, le marché de l’édition et de la diffusion de la recherche est dominé par un oligopole d’éditeurs commerciaux qui facturent à prix forts leurs abonnements. Ce système est pernicieux, car il force les institutions à payer plusieurs fois les résultats de la recherche : pour la production (financement des projets de recherche, salaires versés aux professeurs-chercheurs), pour la diffusion (financement des revues scientifiques, frais de publication par article) et enfin pour l’accès (frais d’abonnement aux revues). Pour contrer ce phénomène, le libre accès s’avère une solution viable, qui passe par deux modes principaux : la voie verte, soit l’autoarchivage par les auteurs de leurs articles déjà publiés dans des revues payantes (via des dépôts institutionnels, disciplinaires ou d’autres sites web), et la voie dorée, soit la publication dans des revues en libre accès. La diffusion de la recherche en libre accès s’adresse non seulement aux lecteurs, mais aussi aux auteurs, dont les travaux bénéficient alors d’une plus grande visibilité, et donc d’un plus grand impact (nombre de citations accru).
Les revues savantes publiées en libre accès
Les chercheurs qui publient dans les revues scientifiques et les lecteurs (étudiants ou chercheurs) de ces revues ignorent souvent les tarifs d’abonnement de ces éditeurs commerciaux. De plus, ils peinent parfois à distinguer entre les revues scientifiques en libre accès et les revues dites prédatrices (de fausses revues). Le capital symbolique (la valeur en termes de prestige et de scientificité) accordé aux revues en libre accès varie considérablement d’une discipline à l’autre : Servanne Monjour a mentionné qu’en lettres, jusqu’à récemment, on se méfiait à tort des publications en libre accès, confondant valeur économique et valeur scientifique d’une publication, tandis que Bryn Williams-Jones et Vincent Gautrais ont souligné qu’aujourd’hui, en bioéthique et en droit, les revues les plus spécialisées et les plus prestigieuses sont publiées en libre accès. Peter Dietsch a proposé que les auteurs assument une part de responsabilité morale en choisissant mieux leurs lieux de publication. Pour obtenir toute l’information nécessaire au choix éclairé d’une revue pour la soumission d’un article, Diane Sauvé a rappelé l’importance de consulter le Directory of Open Access Journals (https://doaj.org/), la base de données Sherpa/Romeo (Publisher copyright policies & self-archiving, www.sherpa.ac.uk/romeo/) ainsi que la liste Beall des revues prédatrices (http://scholarlyoa.com/publishers/).
Connaître ses droits en tant qu’auteur
Plusieurs auteurs croient à tort que le contrat qu’ils ont signé avec leur éditeur constitue une barrière infranchissable à la diffusion en libre accès de leurs articles via l’autoarchivage. Vincent Gautrais a rappelé que la plupart du temps, même un auteur dont le contrat stipule qu’il a cédé ses droits est susceptible de les ravoir en en faisant la demande à la revue, tout simplement. Souvent aussi, le contrat stipule que la revue ne possède que la forme de l’article et que l’auteur peut en réutiliser le contenu pour le publier ailleurs, pourvu qu’il mentionne que la première version a été publiée dans la revue. Dans tous les cas, il suffit de s’informer et de demander les permissions requises.
De nombreuses initiatives collaboratives
Partout dans le monde, de nombreuses initiatives collaboratives encouragent la libre circulation du savoir. En effet, pour faire le poids face à la domination des éditeurs commerciaux, les autres éditeurs ont besoin de collaborer avec les institutions universitaires et les pouvoirs publics. Certaines institutions comme l’Université Harvard et l’Université de Liège ont rendu obligatoire la publication en libre accès pour leurs professeurs-chercheurs. Benoît Melançon a proposé qu’à l’Université de Montréal, une introduction au monde de la publication scientifique et au libre accès soit intégrée à la formation des étudiants aux cycles supérieurs.
Tanja Niemann a rappelé qu’à ses débuts, Érudit diffusait en libre accès le contenu des revues savantes, mais qu’une barrière mobile de deux ans avait par la suite été instaurée pour assurer un revenu supplémentaire aux revues. Tanja Niemann a également présenté le partenariat conclut à l’automne 2014 entre Érudit et le Réseau canadien de documentation pour la recherche (consortium de bibliothèques universitaires canadiennes) qui assure un soutien aux revues savantes et à la diffusion en libre accès. Ce partenariat est une transition du modèle d’abonnement vers une véritable relation de partenaires entre les revues savantes et les bibliothèques canadiennes.
Enfin, Benoît Melançon et Diane Sauvé ont présenté l’expérience menée aux PUM en partenariat avec les bibliothèques de l’UdeM : la collection « Parcours numériques », qui publie et diffuse des monographies scientifiques en libre accès. Cette initiative s’est révélée fructueuse : les consultations de la version numérique en libre accès conduisent à une augmentation des ventes de la version papier.
Un lectorat universel
Diane Sauvé a expliqué que si les bibliothécaires sont souvent au cœur des projets de libre accès, c’est parce qu’ils sont directement confrontés à la montée des prix imposée par l’oligopole des éditeurs commerciaux. Le mandat des bibliothécaires étant de fournir aux universités toute la documentation nécessaire à la recherche et à l’enseignement, le libre accès s’est avéré le meilleur moyen d’y arriver. Mais cela ne bénéficie pas qu’aux seules communautés universitaires. Les modes de diffusion en libre accès permettent aux résultats de la recherche de rejoindre un lectorat universel : il brise les frontières entre les disciplines, entre les pays développés et non développés, entre les chercheurs universitaires et les chercheurs indépendants ou employés des services publics.