Skip links

Synthèse du colloque “Imaginer l’avenir des revues en sciences humaines et sociales”

Visuel du colloque de l'Acfas

Le colloque « Entre anglicisation de la recherche et libre accès : imaginer l’avenir des revues en sciences humaines et sociales » avait pour objectif de donner un aperçu des enjeux et des défis auxquels font face les revues savantes francophones et toutes celles dont la langue de publication n’est pas l’anglais. Organisé par l’équipe d’Érudit dans le cadre du Congrès de l’Acfas 2022, et présidé par Vincent Larivière, professeur titulaire à l’Université de Montréal et directeur scientifique d’Érudit, ce colloque a réuni plusieurs dizaines de chercheurs·euses et de professionnel·les du milieu de la diffusion scientifique. Nous vous proposons ici une synthèse des présentations réalisées dans cet événement.

 

Plus d’une centaine de revues sont publiées par les universités et sociétés savantes québécoises. La majorité d’entre elles sont actives en sciences humaines et sociales, sont à but non lucratif et publient en français. Bien qu’elles aient principalement été fondées il y a plusieurs décennies—voire un siècle—leur avenir n’est pas assuré. Parmi les défis, notons l’anglicisation de la recherche, la progression du libre accès, l’assurance de sources de revenus suffisantes et la disponibilité d’une équipe éditoriale stable.

Si la tendance vers l’anglicisation de la recherche scientifique et de la publication est bien évidente au Québec, les enjeux sont sensiblement les mêmes dans d’autres pays et régions du monde, dans les sciences sociales et humaines comme dans les sciences naturelles, comme l’a rappelé Valérie Tesnière (École des Hautes Études en Sciences Sociales) lors du colloque.

Une certaine culture de l’évaluation

À l’origine de plusieurs de ces enjeux se trouve une omniprésente culture de l’évaluation de la recherche qui s’applique, sous des formes variables, aux universités, équipes de recherche, individus, et revues. Aux prises avec ces pratiques et afin d’obtenir une évaluation optimale, les chercheurs·euses tendent à viser la publication dans les revues ayant une certaine notoriété ou un facteur d’impact élevé.

Comme souligné par Éric Forgues (Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques) lors de sa présentation, les universités francophones misent sur la publication à fort impact de leurs équipes afin de se classer parmi les meilleures universités étrangères et de recruter davantage d’étudiants internationaux. Toutefois, les pratiques dominantes d’évaluation ne sont pas appropriées pour les sciences humaines et sociales, où la portée d’une découverte est souvent plus limitée par un contexte géographique ou culturel particulier. La notion généralisée d’impact et les pratiques d’évaluation qui en résultent défavorisent la publication dans les revues et les langues nationales.

Néanmoins, ces revues demeurent d’intérêt pour les sciences humaines et sociales afin d’atteindre un lectorat davantage local et, par exemple, composé de praticiens·nes et de citoyens·nes. Dans sa présentation, Fernanda Beigel (Universidad Nacional de Cuyo) a appelé à abolir le facteur d’impact des revues, confirmant l’importance de soutenir la Declaration on Research Assessment (DORA).

Financement et diffusion des revues en langues minoritaires

Les revues diffusant dans une langue autre que l’anglais sont souvent à but non lucratif et diffusées sur des plateformes soutenues par des fonds publics. Toutefois, les communautés qu’elles desservent ne sont pas uniquement nationales : dans le cas des revues québécoises, environ 40% des auteurs proviennent de l’extérieur du Canada et deux consultations sur trois viennent de l’étranger, selon les données présentées par Simon van Bellen (Érudit). Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas, a souligné que son organisme œuvre à accroître la visibilité de la recherche québécoise et canadienne à l’international, tout en restant francophone.

Les revues nationales fonctionnent avec des budgets modestes. Publiant majoritairement en libre accès, un grand nombre ont peu ou pas de revenus provenant d’abonnements. En plus d’être gratuites pour les lecteurs, elles sont également gratuites pour leurs auteurs, puisqu’elles appliquent le modèle du libre accès de type « diamant ». À la suite de l’adoption du Plan S par le FRQ, il est attendu que de nombreuses revues québécoises toujours sous abonnement feront la transition vers le libre accès. La perte de revenus d’abonnement devrait être compensée par un financement adéquat de l’externe, soit des organismes subventionnaires et des institutions de recherche, par exemple selon des modèles collaboratifs.

Janne Pölönen (Federation of Finnish Learned Societies), Dominique Babini (CLACSO-Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales) et Jason Luckerhoff (Coalition Publica) ont également présenté comment les infrastructures nationales stimulent les revues nationales, la publication dans les langues autres que l’anglais, et le libre accès diamant. Ces infrastructures ouvertes sont contrôlées par la communauté et n’ont pour mission que la diffusion efficace et à faible coût du contenu savant, et permettent à l’ensemble de la société d’accéder aux résultats de recherche. À partir du cas de la Finlande, Janne Pölönen a souligné que le multilinguisme facilite l’accès aux découvertes scientifiques pour les praticien·nes et les citoyen·nes, avantage également formulé par la Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte.

Le soutien des organismes publics est essentiel aux revues nationales. Au Québec, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) finance à la fois les chercheurs·euses et les revues québécoises, et ses politiques ont un fort potentiel d’influence sur le développement de la publication savante au Québec, comme souligné par Anne-Marie Fortier (directrice d’Études littéraires) et Laurence Bherer (directrice de Politique et Sociétés). Le FRQSC (tout comme le CRSH à l’échelle du gouvernement canadien) encourage la publication en libre accès, sans l’obliger. Néanmoins, Simon van Bellen a démontré que, parmi les revues québécoises en sciences humaines et sociales, ce sont notamment celles ayant une grande visibilité à l’international, avec une indexation dans le Web of Science, qui sont financées par ces fonds. Les revues ayant une visée « québécoise », traitant du Québec, ou celles qui publient en libre accès selon les dernières normes bénéficient moins souvent du soutien du FRQSC et du CRSH.

Toutefois, lors de sa présentation, Louise Poissant, directrice scientifique du FRQSC, a annoncé qu’à partir de 2023, à la suite de son adhésion au Plan S, le FRQ misera davantage sur la publication en libre accès. En assurant un financement adéquat, le Plan S stimulera la pérennité des revues québécoises en incitant les chercheurs·euses à soumettre leurs articles aux revues nationales et en libre accès. Afin de compenser les pertes de revenu d’abonnement, le FRQ s’est engagé à bonifier son programme de financement des revues et de la plateforme erudit.org sur laquelle elles sont diffusées.

La valorisation de la publication dans les revues et les langues nationales devrait aller de pair avec une amélioration de la découvrabilité, comme l’a souligné Dominique Babini. Les revues nationales demeurent peu présentes dans les outils de découverte et de référence, comme le Directory of Open Access Journals, même si elles répondent aux exigences. Cet outil est très utilisé par les chercheurs·euses et les bibliothécaires afin de repérer les revues conformes et d’intérêt pour la publication de leurs travaux. D’autres développements technologiques pourraient également être déployés afin de stimuler la publication dans les langues minoritaires, par exemple la traduction automatisée. Ainsi, une traduction en anglais pourrait être publiée en parallèle à la version originale.

Conclusion

Ce colloque a offert d’importantes réflexions et échanges sur le libre accès, l’état de la publication savante dans les langues autres que l’anglais, et a permis de faire le point sur les enjeux et les intérêts des revues, des équipes de recherche, des diffuseurs et des organismes subventionnaires. La situation du français en tant que langue de publication au Canada n’est pas unique. Les approches développées en Amérique latine et en Europe devraient inspirer les pratiques à mettre en place au Québec.

Les revues scientifiques des langues autres que l’anglais et en sciences humaines et sociales jouent un rôle essentiel pour informer l’ensemble de la société en maintenant une visibilité à l’international. Elles mériteraient un soutien infrastructurel et financier plus important, afin de se conformer notamment aux nouvelles réalités de la publication et de la diffusion, et d’ainsi poursuivre leur mission.