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5 questions avec… Le Naturaliste canadien

Pour cette quatrième entrevue, Érudit s’est entretenu avec l’équipe du Naturaliste canadien, qui se décrit comme une revue qui diffuse des connaissances, en français, sur les thèmes de la nature et de l’environnement en Amérique du Nord. La revue est actuellement dirigée par Denise Tousignant, éditrice scientifique experte certifiée en sciences de la vie qui travaille à la Direction de la recherche forestière au Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF).

 

1. Le Naturaliste canadien est la plus ancienne revue savante francophone en sciences naturelles d’Amérique du Nord, pouvez- vous nous raconter sa fondation et comment elle a su s’adapter pour perdurer jusqu’à nos jours?

À chaque étape de son évolution, la revue a su trouver des titulaires adéquats pour assurer sa pérennité. Elle a été portée par des passionnés et des institutions désireuses de poursuivre l’œuvre de l’abbé Léon Provancher, qui a fondé la revue en 1868. Le Chanoine Victor-A. Huard reprit le flambeau en 1894, suivi par l’Université Laval en 1929, puis la Société Provancher d’Histoire naturelle en 1994 [1].

Au fil de son parcours, des décisions importantes ont été prises pour positionner la revue dans le monde des publications scientifiques. Après une période pendant laquelle la revue ciblait un lectorat plus international et anglophone (1929-1966), la revue est revenue à sa vocation originale, celle de la diffusion des connaissances en sciences naturelles en français. En 2012, la revue a joint la plateforme Érudit pour que son contenu soit diffusé en version électronique en plus de la version papier, pour un rayonnement accru. En 2020, le Naturaliste canadien a pris un virage entièrement numérique en abandonnant sa version imprimée.

L’équipe travaille aussi sur un projet de numérisation et d’indexation de ses archives, afin de mettre en valeur le patrimoine inestimable que représentent les articles parus au fil des décennies [2].

 

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[1] Perron, J.-M., 2001, La course à relais du Naturaliste canadien. Le Naturaliste canadien, 125(2) : 6-10.

[2] Tousignant, D., 2022. Un patrimoine inestimable maintenant disponible! Le Naturaliste canadien, 146(1): 2.

2. Le Naturaliste canadien diffuse des connaissances en sciences naturelles auprès d’un large public, composé en particulier de scientifiques et de naturalistes. Parlez-nous de votre lectorat et de comment la publication en français vous permet de mieux le rejoindre.

Si Le Naturaliste canadien choisit de publier uniquement des articles en français, c’est que son équipe croit fermement que c’est la meilleure manière pour la revue de remplir sa mission et de répondre aux enjeux qui préoccupent son lectorat. La dominance incontestée de l’anglais dans le monde de la publication scientifique crée un prisme qui camoufle ou minimise l’ampleur et la complexité des enjeux touchant certaines régions ou minorités linguistiques du globe [3].

Le Naturaliste canadien ne prétend pas faire concurrence à des revues internationales anglophones comme Nature ou Science. La revue occupe une niche particulière, se voulant une vitrine pour les sciences naturelles et de l’environnement au Québec et en Amérique du Nord. Elle s’adresse d’abord aux scientifiques, chercheurs, gestionnaires et naturalistes de l’est du Canada qui étudient les écosystèmes dans le contexte nord-américain. En ce sens, elle répond à un besoin essentiel. Par ailleurs, cela ne l’empêche pas de rejoindre des lecteurs francophones partout dans le monde et de rayonner au-delà de la francophonie, par le biais de résumés et mots-clés en anglais. De fait, son lectorat ne cesse d’augmenter depuis qu’elle est diffusée en ligne sur la plateforme Érudit [4]. Bon an mal an, le Naturaliste canadien reçoit 60 000 visites sur Érudit, et 48 000 articles sont téléchargés.

 

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[3] Tousignant, D. et Y. Pouliot, 2022, Le Naturaliste canadien à une table ronde de revues francophones. Le Naturaliste canadien, 146(2) : 2.

[4] Cimon, A. et D. Tousignant, 2021. La première année du Naturaliste canadien tout numérique : un franc succès! Le Naturaliste canadien, 145(1) : 2.

3. Dans le contexte de l’internationalisation de la recherche particulièrement présente dans le domaine des sciences naturelles, quels sont les mythes à déconstruire afin d’attirer des manuscrits de qualité?

Un premier mythe à déconstruire est celui de la valeur incontournable du facteur d’impact (nombre de fois qu’un article est cité), qui est un critère hautement valorisé dans le monde de la recherche scientifique pour classer les revues et guider les auteurs dans leur choix pour publier. Bien que cet indice donne une visibilité enviable et qu’il soit grandement considéré par les organismes subventionnaires, il comporte aussi d’importants biais et ne mesure pas nécessairement la diffusion auprès de la clientèle souhaitée par la revue ni les autres retombées d’une publication. D’autres critères sont donc à considérer pour choisir une revue dans laquelle publier, par exemple le lectorat visé, le nombre de visiteurs que l’article a attiré et le nombre de téléchargements de son contenu [5], sans compter des considérations comme la qualité du soutien éditorial offert aux auteur·trices, les frais de publication qui leur sont demandés (il n’y en a aucun pour publier dans nos pages) et la politique de diffusion (nos articles sont disponibles en libre accès après un embargo de 12 mois pendant lesquels ils sont réservés aux abonné·es).

Un deuxième mythe à déconstruire, qui est relié au premier, est celui de la portée régionale ou internationale d’un article. Certains organismes de subvention de la recherche incitent les chercheurs à privilégier les revues à portée internationale, sous prétexte qu’elles rejoignent un plus large lectorat. Toutefois, les revues internationales ne sont pas nécessairement consultées par la communauté concernée par la région étudiée, alors que les revues nationales le sont davantage. À cet effet, une étude de Vincent Larivière de l’Université de Montréal mentionne que « les revues nationales sont tout aussi utilisées par la communauté que le sont les “grandes” revues internationales, et le sont bien plus que les revues publiées par la majorité des grands éditeurs. » [6]

Un troisième mythe à déconstruire est que les articles en français ne sont pas lus. Même si l’anglais domine grandement dans le domaine des sciences, la francophonie constitue tout de même un bassin démographique de plus de 300 millions de personnes. Par ailleurs, la présence d’un résumé en anglais ajoute à la visibilité des articles publiés dans d’autres langues pour la communauté scientifique internationale qui, au besoin, peut accéder à des outils performants de traduction instantanée propulsés par l’intelligence artificielle.

 

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[5] Larivière, V., 2014, De l’importance des revues de recherche nationales.

[6] Larivière, V., 2014, op. cit.

4. Reprise par la Société Provancher qui en a fait l’organe de communication avec ses membres depuis 1994, la revue repose sur l’implication de nombreux bénévoles. Dites-nous en plus sur votre fonctionnement.

Tout comme les activités de la Société Provancher qui parraine et finance la revue, la production du Naturaliste canadien repose sur le travail d’une trentaine de bénévoles, notamment : la rédactrice en chef, 2 rédacteurs en chef adjoints, 7 membres au bureau de direction, 10 rédacteurs adjoints, 8 réviseurs techniques et linguistiques, 3 correcteurs d’épreuve et un responsable du marketing-communication. Autour de ce groupe gravitent plusieurs autres bénévoles de la Société Provancher qui s’occupent du soutien informatique et administratif ainsi que des communications. Seule une secrétaire de rédaction, engagée à temps partiel, est rémunérée.

La rédactrice en chef orchestre le travail dans son ensemble et dirige la plupart des mandats spéciaux entourant la mission de la revue. Elle est épaulée au quotidien par la secrétaire de rédaction et guidée par les décisions du bureau de direction de la revue. Les aspects financiers sont gérés en collaboration avec le conseil d’administration de la Société Provancher, qui finance la revue.

Pour chaque nouvelle soumission d’article scientifique, la rédactrice en chef confie la responsabilité de l’évaluation scientifique à l’un des rédacteurs en chef adjoints. Après une prélecture, celui-ci contacte le rédacteur adjoint spécialisé dans la discipline appropriée, qui sollicitera les experts qui participeront à l’évaluation scientifique par les pairs. En parallèle, des bénévoles vérifient les aspects plus techniques du manuscrit. Les manuscrits acceptés après cette révision par les pairs font ensuite l’objet d’une révision linguistique et typographique fine avant d’être envoyés au montage graphique. D’autres collaborateurs rédigent des textes complémentaires (hommages, recensions de livres, etc.) et contribuent à la vérification des épreuves mises en page. Finalement, le responsable du marketing rédige les annonces pour promouvoir le nouveau contenu dès sa diffusion et travaille à améliorer la visibilité globale de la revue.

5. Pouvez- vous nous présenter quelques articles publiés dans Le Naturaliste canadien qui traduisent la diversité des thématiques abordées?

Les articles publiés dans Le Naturaliste canadien sont rédigés par des auteurs aux profils variés provenant des milieux universitaire ou gouvernemental, d’organismes privés ou d’OBNL. Nous recevons aussi régulièrement des soumissions provenant de naturalistes indépendants. Les sujets traités incluent toutes les disciplines des sciences naturelles et de l’environnement : botanique, conservation, entomologie, milieux aquatiques, ornithologie, mammalogie, foresterie, histoire, mycologie, sciences de la mer, herpétologie, malacologie, paléontologie, géomorphologie, etc. À l’occasion, des numéros thématiques permettent d’aborder des thèmes particuliers, les plus récents étant : Routes et faune terrestre — de la science aux solutions (2012), Les oiseaux de proie (2015), Le Saint-Laurent (2016), le 20e anniversaire du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent : recherche, conservation et mise en valeur (2018), Colloque sur l’écologie routière et adaptation aux changements climatiques — de la recherche aux actions concrètes (2019) et Les enjeux de la recherche à Anticosti — état des lieux et perspectives (printemps 2023).

     

 

Voici quelques exemples de cette diversité de sujets et d’auteurs :

Conservation et développement durable : l’article Risques et impacts associés à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent, écrit par Sylvain Archambault (Société pour la nature et les parcs) et Jean-Patrick Toussaint (Fondation David Suzuki) dans le numéro thématique Le Saint-Laurent, est celui qui a attiré le plus l’attention des lecteurs au cours des dernières années. Le PDF de cet article a été téléchargé plus de 12 900 fois et se maintient au 1er rang de nos articles les plus lus depuis sa publication en 2016.

Milieux aquatiques : l’article Biosuivi du marais Léon-Provancher depuis sa mise en eau (1996-2016) : implications pour la conservation d’un milieu humide aménagé, écrit par Julie Robitaille (INRS), Émilie Saulnier-Talbot (Université Laval) et Isabelle Lavoie (INRS), est un bel exemple de recherche appliquée dans un contexte régional. L’article a reçu le prix Gisèle-Lamoureux du FRQNT pour la publication en français en septembre 2021, et son fichier PDF a été téléchargé plus de 340 fois depuis sa publication à l’automne 2020.

Entomologie : l’article Sur les traces de l’épithèque de Provancher au mont Yamaska (Odonata : Corduliidae : Neurocordulia yamaskanensis) est une étude fascinante réalisée par Alain Mochon et Michel Savard, deux entomologistes autodidactes qui ont retracé les pas de l’abbé Léon Provancher (fondateur de notre revue) pour retrouver une espèce de libellule que celui-ci avait décrite pour la première fois en 1875. L’article est paru dans le numéro soulignant les 150 ans du Naturaliste canadien en 2018.

Le Naturaliste canadien

La revue est diffusée et préservée sur erudit.org. Un abonnement est requis pour l’accès aux numéros parus dans les 12 derniers mois de publication de cette revue.

Curieux d’en apprendre plus sur les revues savantes? Consultez les autres entrevues de la série « 5 questions avec… » juste ici : https://apropos.erudit.org/category/5-questions-avec/.