
Ouvrir la science, ce n’est pas seulement lever les barrières d’accès : c’est aussi apprendre à en parler autrement. Comment faire en sorte que les savoirs produits dans les revues savantes soient compris, partagés et appropriés par un public toujours plus large ? Ce billet revient sur cet enjeu central, discuté lors d’un récent panel.
Au Canada, la production de savoirs scientifiques universitaires est majoritairement financée par des fonds publics. Nous contribuons donc toutes et tous, d’une certaine manière, à la production de ces connaissances ; il semble alors logique que nous puissions y accéder librement. Mais pour tirer pleinement profit des savoirs, il ne suffit pas d’y avoir accès : il faut aussi pouvoir les comprendre et les intégrer à nos pratiques. Doit-on, dès lors, demander à la recherche d’être plus facilement compréhensible ?
C’est autour de cette question qu’ont échangé Séverine Parent (Revue hybride de l’éducation), Sylvain Vigier (Le Climatoscope) et Jean-Sébastien Fallu (Drogues, santé et société), lors d’une discussion animée par la journaliste Gabrielle Anctil. Organisé par le Réseau Circé et Érudit, ce panel intitulé « Sortir les savoirs des revues scientifiques : ouvrir le dialogue avec de nouveaux publics » s’est déroulé le 30 octobre dernier dans le cadre de la Journée des savoirs ouverts, un événement proposé par Projet Collectif et Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BanQ).
Pour qui vulgariser ?
Dès l’ouverture du panel, les membres du public ont été invités à exprimer leurs besoins en matière de vulgarisation. Plusieurs ont souligné l’importance de rendre la recherche accessible aux personnes issues de milieux moins favorisés ou éloignées des grands centres urbains. D’autres ont relevé les barrières technologiques, comme les verrous d’accès payant et les abonnements universitaires, qui limitent l’accès aux bases de données et aux revues scientifiques.
Mais même lorsqu’on y a accès, la surabondance d’articles peut décourager : entre 2010 et 2023, la quantité de publications scientifiques dans le monde a plus que doublé. Cette multiplication des contenus rend la recherche plus visible, mais aussi plus difficile à naviguer pour le public non spécialiste. Pour le grand public, ce « trop-plein » peut paraître étourdissant et nuire à l’accès aux connaissances.
Le dilemme des chercheur·euse·s
Les panélistes, responsables de revues en libre accès, ont présenté leurs initiatives visant à démocratiser les savoirs :
- La Revue hybride de l’éducation exige que chaque article soit accompagné d’un résumé rédigé en langage clair et encourage l’utilisation de schémas explicatifs (voir un exemple ici).
- Drogues, santé et société publie, en plus des articles scientifiques, des témoignages et points de vue personnels qui favorisent la compréhension des enjeux sociaux liés à la consommation.
- Le Climatoscope est à l’origine du projet ClimActualité, une initiative de diffusion grand public visant à relier les savoirs climatiques à l’actualité quotidienne.
Bien que ces exemples démontrent qu’il est possible de concilier rigueur scientifique et accessibilité, les chercheur·euse·s font aussi face à plusieurs obstacles qui nuisent aux efforts de vulgarisation.
D’abord, les universités valorisent encore trop peu la vulgarisation : les mécanismes d’évaluation de la recherche privilégient la publication d’articles dans des revues internationales prestigieuses, souvent anglophones. La primauté de la langue anglaise, bien présente dans le milieu québécois de la recherche, décourage la publication de contenu vulgarisé pour des publics francophones. En outre, le temps et les compétences nécessaires à la vulgarisation sont rarement reconnus ou récompensés, et il est donc difficile de trouver des scientifiques formé·e·s en vulgarisation.
Certain·e·s chercheur·euse·s hésitent également à vulgariser, par peur de simplifier à l’excès ou de trahir la complexité de leur pensée. Dans le domaine scientifique, le détail est souvent essentiel, et la lourdeur est signe de rigueur. Or, comme l’a souligné un participant, peut-être faut-il aussi former les citoyen·ne·s à apprécier la nuance, à valoriser les raisonnements complexes et la lenteur inhérente à la recherche. En ce sens, la solution résiderait-elle plutôt dans l’idée de former les citoyen·ne·s à valoriser les démarches complexes, à supporter la longueur ?

Comment faire ?
Si les défis sont nombreux, les solutions le sont tout autant. Les panélistes ont rappelé que la forme des contenus joue un rôle majeur : la présentation visuelle d’un article peut en favoriser ou en freiner la lecture. Les articles classiques, rédigés en noir et blanc et disposés en colonnes visant à maximiser la quantité de texte sur une page, risquent fort de rebuter un lectorat non initié. L’usage de la couleur, d’illustrations ou d’infographies facilite la compréhension et attire un lectorat plus diversifié.
Certaines revues innovent également en produisant des balados, des capsules vidéo ou des dossiers multimédias qui prolongent les articles sous d’autres formats. D’autres ouvrent leurs pages à des étudiant·e·s ou praticien·ne·s, dont les textes, moins formels mais tout aussi pertinents, participent à la circulation des connaissances.
Enfin, le modèle du libre accès diamant, promu par Érudit, s’impose comme une voie d’avenir : il permet de diffuser la recherche sans frais ni pour les auteur·trice·s, ni pour les lecteur·trice·s, garantissant ainsi un accès équitable et durable à la science.
Des collaborations entre scientifiques et professionnel·le·s de la vulgarisation peuvent aussi favoriser cette ouverture : la Chaire de recherche sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français, par exemple, a récemment accueilli Gabrielle Anctil comme « journaliste scientifique en résidence » pour contribuer à rendre sa recherche plus lisible et visible.
Circé : au service des revues scientifiques québécoises et du libre accès

Ce panel s’inscrivait dans la mission du Réseau Circé, qui mobilise le monde de la publication savante en français, afin d’accompagner les revues savantes du Québec dans le passage vers un modèle de libre accès diamant.
Nous tenons à remercier Vanessa Allnutt, coordonnatrice du Pôle Revues du Réseau Circé (jusqu’en octobre 2025), pour sa précieuse contribution à l’idéation et l’organisation du panel, ainsi que Séverine Parent, Sylvain Vigier et Jean-Sébastien Fallu pour leurs réflexions éclairantes. Un merci tout particulier à Gabrielle Anctil, qui a su animer la discussion avec justesse et curiosité. Enfin, nos remerciements vont à Projet Collectif et à la BAnQ pour l’organisation de la Journée des savoirs ouverts, un espace essentiel de dialogue autour du partage des connaissances.
Et un merci tout spécial à Maryse Boyce pour ses photos lors de l’événement.