À l’occasion du mois national de l’histoire autochtone, Érudit s’est entretenu avec l’équipe de Revue d’études autochtones. Nous voulions en savoir plus sur le changement de nom de la revue qui s’est opéré lors de son 50e anniversaire, de même que sur son rôle dans la construction du champ des études autochtones. Leila Inksetter, directrice de la revue, et le rédacteur Éric Chalifoux ont répondu à nos questions.
1. La revue est née en 1971 sous le nom Recherches amérindiennes au Québec. Comment a-t-elle été accueillie par la communauté scientifique à sa création ? A-t-elle fait office de pionnière dans son domaine?
La revue Recherches amérindiennes au Québec est née en réponse à l’isolement des chercheurs québécois qui travaillaient sur les questions autochtones dans les années 1960 et 1970. À ses débuts, la revue voulait agir à titre de bulletin de liaison entre ces chercheurs isolés, mais la volonté de publier des articles scientifiques s’est fait sentir et a rapidement pris le dessus. Les objectifs de la revue étaient :
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- de publier en français afin de créer un lieu d’expression pour les chercheurs francophones;
- de contribuer à la connaissance des sociétés et des cultures autochtones du Québec (et, pour mieux les mettre en contexte, garder un œil ouvert sur celles de l’ensemble des Amériques);
- avoir un caractère multidisciplinaire, c’est-à-dire ouvrir ses pages à tous les chercheurs travaillant sur des sujets relatifs aux Premières Nations et ce, quelle que soit leur spécialité;
- s’adresser aux spécialistes, mais aussi à un plus large public.
Recherches amérindiennes au Québec était la première revue francophone (et la seule) qui publiait des textes portant exclusivement sur les enjeux des peuples autochtones du Québec et des Amériques et en ce sens, était pionnière. Elle est devenue une référence en matière de publication scientifique rigoureuse en français sur les enjeux autochtones, réputation qu’elle maintient toujours. La revue cherche à intégrer des personnes autochtones à toutes les étapes du processus de production (rédaction de textes, direction de numéros, membres du comité de rédaction, production artistique, etc.)
En 1973, la Société Recherches amérindiennes au Québec (aujourd’hui Société Recherches autochtones au Québec) était fondée. La Société est une maison d’édition entièrement consacrée à la diffusion de connaissances sur les enjeux et sur les réalités des peuples autochtones. Elle héberge la revue depuis ce temps.
2. La revue a changé de nom en 2020 pour s’appeler Revue d’études autochtones. Parlez-nous du processus qui a amené le nouveau titre.
Initié en 2018, le processus de changement de nom de la revue Recherches amérindiennes au Québec s’est déroulé en plusieurs étapes de consultation. Ce processus est le fruit de plusieurs discussions et de décisions collectives, motivées par la volonté de refléter les dynamiques contemporaines de la recherche en contexte autochtone, de favoriser l’inclusion des points de vue autochtones, et enfin de réfléchir sur le nom même de la revue. En effet, le nom « Amérindien » était devenu largement désuet.
En 2019, une première réflexion interne s’est amorcée parmi les membres du comité de rédaction de la revue et du conseil d’administration de la Société Recherches amérindiennes au Québec.
Elle a mené à la mise sur pied d’un comité de consultation externe composé de dix acteurs et actrices de la recherche autochtone, tous et toutes membres d’une Première Nation du Québec.
Ces consultations internes et externes ont permis de formuler diverses priorités, dont l’élargissement du traitement des enjeux autochtones à l’échelle internationale et la recommandation d’adopter un nouveau nom qui puisse davantage refléter une réalité plus contemporaine.
Au terme de l’ensemble de ces réflexions, le terme « amérindiennes » a été remplacé par « Autochtones » pour s’arrimer à l’évolution terminologique en français, au Canada et à l’international.
Au cours de ses cinq décennies d’existence, la revue Recherches amérindiennes au Québec a toujours valorisé un regard critique sur la production des connaissances, une contribution rigoureuse aux débats scientifiques en français ainsi qu’une participation à une meilleure compréhension des réalités autochtones. Nous souhaitons poursuivre ces objectifs en maintenant les plus hauts standards de qualité en matière de publication scientifique. Le terme « Autochtone » permet de tenir compte des nouveaux développements touchant la définition de l’autochtonie dans le monde. Le nouveau titre nous permet donc de poursuivre notre mandat, tout en ouvrant encore davantage nos pages à des réalités autochtones multiples, au Québec et dans le monde.
Le changement de nom a été annoncé officiellement lors du colloque qui a souligné les 50 ans de Recherches amérindiennes au Québec en novembre 2021.
3. La présentation de votre revue met en évidence l’aspect multidisciplinaire. Comment la revue participe-t-elle à la construction du champ des études autochtones ?
Alors que les premières contributions de la revue concernaient essentiellement l’anthropologie, l’ethnologie, l’ethnolinguistique ou encore l’archéologie, il s’est rapidement avéré que les enjeux autochtones dépassaient largement ces disciplines. L’approche multidisciplinaire permet de comprendre les réalités autochtones sous différents angles, en tenant compte de leurs dimensions historiques, socioculturelles, économiques, politiques et environnementales.
Au fil des années, la revue a publié des contributions provenant de disciplines telles que l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, l’histoire de l’art, les sciences politiques, les sciences juridiques, les études littéraires, la géographie et même les sciences naturelles. Cette multidisciplinarité, voire cette pluridisciplinarité, permet d’aborder les enjeux autochtones dans une perspective plus globale et de mieux comprendre la complexité de leurs dynamiques sociales et culturelles.
La revue joue un rôle important dans les études autochtones en offrant une plateforme dédiée à la publication en français de recherches, d’analyses et de discussions sur les cultures, les sociétés et les enjeux contemporains et historiques des peuples autochtones au Québec et d’ailleurs dans le monde. Il s’agit toujours de la seule revue multidisciplinaire dédiée exclusivement aux enjeux autochtones.
Concrètement, chaque numéro est articulé autour d’un dossier thématique, abordé sous différents angles et approches. Les comptes rendus de publications scientifiques font aussi partie de chaque numéro, depuis les tout débuts. Enfin, la revue offre parfois des articles d’autres formats, comme des notes de recherche, des entretiens ou des textes d’opinion (appelés points de vue), qui permettent d’offrir une gamme variée de moyens d’expression. En plus d’articles scientifiques, la revue contenait, pendant plusieurs décennies, des actualités et des chroniques juridiques. Celles-ci ont disparu récemment des pages de la revue au profit d’autres médiums de transmission plus rapides. En contrepartie, les articles scientifiques ont pris une place prépondérante avec une tendance à la production de numéros doubles. L’ensemble de ces textes permet aux personnes qui s’intéressent aux enjeux autochtones de voir réunie, à un seul endroit, une diversité de perspectives.
4. Quelle importance la revue accorde-t-elle à la publication en français?
Revue d’études autochtones, précédé de Recherches amérindiennes au Québec publie exclusivement en français. Le fait « francophone » transparaît déjà dans les objectifs de la revue dès la réunion de sa fondation en 1971. Même si la revue accepte des textes dans une autre langue que le français, chaque contribution acceptée pour publication (articles, notes de recherche, chroniques, comptes rendus, etc.) fait l’objet d’une traduction en français puis d’une révision linguistique rigoureuse avant sa publication. En dépit d’une certaine « internationalisation » des connaissances, la revue considère qu’il est important et essentiel de diffuser et de faire rayonner les résultats de la recherche en français.
5. Enfin, présentez-nous quelques articles publiés dans Revue d’études autochtones (et Recherches amérindiennes au Québec) qui ont participé à l’avancement des connaissances au cours des 53 années d’existence de la revue.
Un exercice similaire de sélection avait déjà été réalisé lors de la parution du dernier numéro de Recherches amérindiennes au Québec (voir RAQ, volume 50, no 3, 2020-2021) – un numéro soulignant les 50 ans de la revue. Plutôt que de présenter des articles, nous avons choisi de vous présenter certains numéros thématiques marquants, qui illustrent la diversité des sujets couverts par la Revue par le biais d’articles scientifiques généralement accompagnés de chroniques (actualités, juridiques, etc.) et de comptes rendus de lecture :
- « La baie James des Amérindiens », RAQ, 1(4-5), 1971.
Il s’agit du premier numéro de la revue qui contenait des articles scientifiques. Il traite du projet de la Baie James dans un dossier « coup de poing » sur les enjeux et les conséquences humaines et sociales de l’inondation d’une immense partie du territoire des Cris de la baie James.
- « Santé et problèmes sociaux », RAQ, 25(1), 1995.
Sous la direction de Jacques Leroux, ce numéro réalisait différents constats en matière de santé des Autochtones au Québec et présentait certaines initiatives de prise en charge locale de soins de santé et services sociaux.
- « Développements théoriques en archéologie », RAQ, 28(2), 1998.
Publié sous la direction de Pierre Dumais et Jean Poirier, ce numéro se voulait une réflexion sur les nouveaux développements théoriques de la discipline archéologique. Les décennies 1970, 1980 et 1990 avaient donné lieu à plusieurs numéros thématiques sur des sujets proprement archéologiques et ce numéro montrait le développement parcouru.
- « La Commission royale sur les peuples autochtones », RAQ, 37(1) 2007.
Dirigé par Michel Lavoie, le numéro examinait les conséquences, dix ans plus tard, du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones qui examinait les relations entre les Peuples autochtones du Canada et l’État canadien.
- « Amérique latine, Guyane française, États-Unis, Canada, Nouvelle-Calédonie », RAQ, 44(2-3), 2014.
Dirigé par Martin Hébert, Cristhian Teófilo da Silva et Jonathan Lainey, ce numéro cherchait à procéder à des études autochtones comparées et offrait une grande diversité de cas présentés, entre le Brésil, la Nouvelle-Calédonie, le Mexique, les Andes et le Canada. Une seconde partie du numéro se concentrait sur le congrès d’études wendat-wyandot qui s’était tenu en 2012. Sous les auspices de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), ce numéro a été réalisé en collaboration avec la revue brésilienne Interethnic@ : revue des études sur les relations interethniques qui a publié simultanément tous les textes traduits en portugais brésilien.
- « Femmes autochtones : pour un retour à l’équilibre ». RÉA, 51(2-3), 2021-2022.
Premier numéro paru avec le nouveau nom de la revue, il faisait écho à deux numéros de Recherches amérindiennes au Québec publiés en 1983 et 1984, qui présentaient les enjeux propres aux femmes autochtones. Quarante ans plus tard, le numéro double avait pour objectif de faire un nouvel état des lieux, d’offrir une meilleure compréhension de certaines actions entreprises par des femmes autochtones au Québec et de rééquilibrer les rapports de force chez les peuples autochtones et avec les autorités étatiques. Il a été dirigé par Suzy Basile, une chercheuse autochtone. Il contient également des contributions de plusieurs chercheuses autochtones.
Pour vous procurer les numéros d’archives mentionnés qui ne sont pas en ligne, vous pouvez communiquer avec la revue à l’adresse revue@recherches-autochtones.org.
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