Le Symposium québécois des revues savantes, qui s’est tenu le 20 novembre 2023 à Montréal, a marqué le point culminant des célébrations du 25e anniversaire d’Érudit. Organisé en collaboration avec l’Acfas, cet événement a rassemblé quarante responsables de revues et plusieurs bibliothécaires spécialisé·es pour plonger au cœur des défis qui façonnent le paysage actuel de la publication universitaire.
Les revues prennent la parole
Les revues savantes québécoises se trouvent aujourd’hui à un point tournant. Du fait de l’émergence des technologies numériques et de la mondialisation accélérée de la recherche, elles conduisent leurs opérations dans un environnement en profonde recomposition. Plus récemment, ce contexte est bouleversé par l’affirmation du libre accès et de l’ensemble des pratiques de la science ouverte. Le symposium visait à permettre aux responsables de revues d’échanger librement autour des enjeux qui affectent leurs pratiques éditoriales et leurs opérations.
Plusieurs bibliothécaires spécialistes de la publication savante ont aussi pris part à ces échanges : il s’agit en effet des interlocuteurs et interlocutrices privilégiés des revues dans leurs institutions d’attache, auxquelles ils et elles apportent soutien et conseils. Grâce au rôle facilitateur d’Érudit et de l’Acfas, cet après-midi a rassemblé de nombreux acteurs et actrices de l’écosystème de la communication scientifique du Québec, soulignant encore une fois l’importance de la concertation et de la consultation pour assurer la vitalité de ce milieu.
Trois axes de travail
1. La publication en français
Dans un contexte où l’anglais domine de plus en plus les échanges scientifiques, nous assistons à un phénomène généralisé d’appauvrissement linguistique de la communication savante. La publication en français représente ainsi un enjeu majeur pour les revues savantes québécoises et canadiennes. Les discussions tenues lors du symposium ont abordé le caractère systémique du déclin rapide du nombre d’articles publiés en français, qui est indissociable des pratiques d’évaluation de la recherche et de promotion des professeur·es, par les universités comme par les organismes subventionnaires. Les mesures du prestige couramment utilisées, comme le facteur d’impact, ont en effet été créées pour des publications anglophones, qui continuent de leur accorder une valeur disproportionnée.
Les groupes réunis en ateliers se sont demandé comment renforcer la légitimité des publications en français et mieux les valoriser. Une recommandation importante issue de ces discussions soulignait l’importance de ne pas croire que la technologie, en particulier la traduction automatisée, soit une solution miracle. La mise en place de mesures valorisant les publications dans les langues autres que l’anglais nécessitera une véritable volonté politique et reposera sur un plan d’action concerté impliquant l’ensemble des instances universitaires.
2. La reconnaissance du rôle des revues
Le deuxième axe est parti du constat largement partagé que le rôle et la portée des revues savantes sont souvent mal compris, notamment par leurs établissements d’attache, et réduits à l’évaluation de manuscrits. Or, même à l’échelle des articles, la fonction des revues est plus vaste : elles occupent une place clé dans la production et la diffusion des connaissances, qu’elles partagent auprès des chercheur·es et des étudiant·es de leur champ d’étude, devenant ainsi le point de départ de nouveaux travaux.
Plus largement, les revues sont des milieux vivants qui animent et dynamisent leurs communautés de recherche, que ce soit au sein des équipes éditoriales, parmi les auteur·ices qui y publient, ou encore avec les évaluateur·ices qui garantissent la qualité des textes retenus. Les revues jouent notamment un rôle crucial de formation des jeunes chercheur·es. Les équipes éditoriales accompagnent leurs manuscrits de manière rapprochée et consacrent beaucoup de temps à cette tâche souvent invisibilisée et pourtant essentielle au développement de la relève. Les discussions tenues lors du symposium ont donc insisté sur l’importance que soit mieux reconnue toute l’amplitude des fonctions des revues au sein du cycle de la recherche.
3. L’expertise des équipes éditoriales
Le troisième axe s’est concentré sur le savoir-faire des équipes éditoriales, un aspect d’autant plus essentiel qu’elles conduisent leurs opérations dans un environnement en profonde mutation depuis une trentaine d’années. En plus de leur expertise disciplinaire, les responsables des publications savantes doivent acquérir de nombreuses compétences, bâties au fil des années et continuellement actualisées. Ce travail requiert non seulement des efforts, mais aussi du temps, une ressource fort rare dans l’université contemporaine.
Alors que les modes de diffusion changent rapidement et que le passage au libre accès s’impose de plus en plus, le développement et la transmission du savoir-faire des équipes éditoriales appellent un accompagnement soutenu de l’ensemble de l’écosystème de la publication savante canadien. Le rôle crucial que jouent les bibliothèques universitaires à cet égard doit être amplifié et coordonné, en complémentarité avec les services offerts par l’équipe d’Érudit.
Les discussions du symposium ont également attiré l’attention sur les défis posés par la tâche immense et essentielle de décolonisation de la publication savante, dont l’urgence se fait de plus en plus sentir. L’hypothèse d’un réseau de collaboration et d’entraide regroupant les revues savantes du Québec a également émergé de ces échanges, qui ont insisté sur une structure la plus horizontale possible.
Et la suite ?
Le Symposium a offert la préfiguration prometteuse d’une collaboration plus systématique des revues pour faire face aux nombreux défis communs auxquelles elles se trouvent confrontées. Nous tenons à remercier vivement l’ensemble des participant·es à cette journée, ainsi que l’Acfas et les Fonds de recherche du Québec pour leur soutien à son organisation ! Les appels à réitérer ce genre de rencontres ont été nombreux, soulignant que les pistes de solution à ces défis ne pourront s’élaborer sans la contribution et l’appui de toutes les parties prenantes de l’écosystème de la publication savante – bibliothèques, universités et organismes subventionnaires.
De nombreuses notes ont été compilées à la suite des ateliers, qui seront transformées au cours des prochains mois en un rapport complet de ces échanges, incluant aussi bien les constats communs que les particularités significatives. Nous espérons également donner une suite canadienne à cette première itération lors du Congrès des sciences humaines, qui se tiendra en juin 2024 à l’Université McGill (Montréal, Canada).