
Pour la suite de notre série d’entrevues « 5 questions avec… », nous nous intéresserons au récent passage au libre accès d’Atlantic Geoscience. Sandra Barr, rédactrice en chef de la revue, décrit les étapes nécessaires à la transition du modèle de diffusion, les difficultés rencontrées et envisage l’avenir de la revue.
Atlantic Geoscience s’intéresse aux sciences de la Terre appliquées au Canada atlantique, aux Appalaches et aux régions connexes. Elle est la revue officielle de l’Atlantic Geoscience Society.
1. Quelles sont les principales raisons qui ont favorisé la décision de passer au libre accès pour votre revue ?
À titre de scientifiques qui publions nos recherches, autant que par notre étroite implication dans la revue Atlantic Geoscience, nous pouvions observer que la publication savante évoluait rapidement dans une direction préoccupante. Les éditeurs à but lucratifs exigent des frais de publication de plus en plus élevés et semblent contrôler des mesures artificielles de la qualité des revues, comme l’indice de citations. Nous étions également préoccupé·e·s par l’augmentation des revues prédatrices, les sollicitations malveillantes par internet et par ce qui apparaît comme une tendance générale vers la pratique de « payer pour publier » (pay-to-publish), à laquelle nous nous opposons fermement. Nous avons aussi constaté que les organismes subventionnaires allaient modifier leurs critères pour exiger le libre accès aux recherches financées par des fonds publics, ce qui est le cas de nombreux travaux publiés dans Atlantic Geoscience.
En tant que rédactrice en chef de la revue, j’ai donc entamé des discussions avec Marie-Eve Dugas d’Érudit à l’automne 2023. Ces conversations ont été très utiles, Marie-Eve m’a patiemment expliqué les différents modèles de publication et m’a indiqué des ressources offrant plus d’informations. Il m’a semblé évident que le libre accès diamant était le meilleur modèle pour maintenir le processus de publication au sein de la communauté de la recherche. Ces informations m’ont donné les arguments dont j’avais besoin pour faire avancer l’idée du libre accès, d’abord auprès des corédacteur·trice·s et du responsable de la production de la revue (janvier 2024), puis auprès des rédacteur·trice·s associé·e·s et enfin auprès du comité exécutif et du conseil d’administration de l’Atlantic Geoscience Society (AGS) (février 2024). Je ne saurais trop insister sur l’importance du rôle joué par Érudit dans la transition au libre accès d’Atlantic Geoscience. Nous n’en savions vraiment rien lorsque j’ai entamé le processus.
2. Comment la décision a-t-elle été prise au sein de votre revue? Parlez-nous des différentes étapes.
Nous avons préparé une analyse financière et une projection pour les trois prochaines années (2025-2027, volumes 61-63) que nous avons présentées au comité exécutif et au conseil d’administration de l’AGS lors de leur réunion d’avril 2024. Notre proposition prévoyait d’adopter le libre accès diamant à partir du 1er janvier 2025. L’analyse financière montrait qu’au cours des dernières années les coûts de production annuels étaient similaires à nos revenus d’abonnement. Cependant, à la suite de notre abandon du format papier en 2006, nos revenus dépassaient nos coûts de production et nous avions pu investir l’excédent dans des placements à revenu garanti (GIC). Nous disposions donc de revenus d’investissement conséquents. Nous recevions également des revenus d’abonnements indirects provenant d’agrégateurs, ainsi que de nombreux petits dons effectués par les membres de l’AGS lors de leur inscription à la réunion annuelle de la société. Nous avons également pris en compte le financement annuel du Partenariat pour le libre accès établi par Érudit, bien que le montant pour les années à venir soit approximatif. Malgré la fluctuation des taux d’intérêt et l’incertitude des effets du libre accès sur les montants des redevances, il était clair que la revue disposait d’investissements suffisants pour la soutenir dans un avenir prévisible, lui évitant ainsi de devenir un fardeau pour les finances de l’AGS. Notre proposition a ainsi été approuvée et Atlantic Geoscience serait donc en libre accès dès le 1er janvier 2025.
À l’automne 2024, l’équipe d’Érudit (d’abord Marie-Eve Dugas, puis Chloë Marshall) nous a aidé·e·s à comprendre les subtilités des licences Creative Commons. La licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0) nous a semblé la meilleure – après tout, si nous consacrons tant d’efforts bénévoles à la publication de la revue c’est pour diffuser la recherche afin qu’elle puisse être utilisée. Nous ne voyons aucune raison d’en restreindre l’utilisation tant que la source est correctement reconnue et citée. Chloë Marshall nous a également accompagné·e·s dans le rafraîchissement du site web d’Atlantic Geoscience et de sa page dédiée sur le site d’Érudit afin d’assurer leur cohérence et indiquer clairement que les droits d’auteur appartiennent aux auteur·trice·s des articles, à moins que d’autres dispositions ne soient demandées (par exemple, pour les employé·e·s du gouvernement fédéral). Tout au long du processus de transition, nous avons bénéficié d’un excellent soutien de la part du personnel du Centre for Digital Scholarship de l’Université du Nouveau-Brunswick, en particulier James Kerr et Tammy Nichol, qui nous ont aidé·e·s à placer les informations nécessaires aux endroits les plus appropriés sur le site web. Il est certain que des ajustements sont encore nécessaires, mais nous n’avons rencontré aucun problème jusqu’à présent. Depuis le début, notre objectif était de faciliter la gestion de la revue, de même que la publication et la consultation pour les auteur·trice·s et les lecteur·trice·s.
« Depuis le début, notre objectif était de faciliter la gestion de la revue, de même que la publication et la consultation pour les auteur·trice·s et les lecteur·trice·s. »
Nous avons encore quelques défis à relever cette année (2025), car les derniers articles du volume 2024 sont toujours derrière la barrière mobile restreignant leur accès pour une durée d’un an à partir de leur date de publication. Certains articles ne sont donc pas encore en libre accès sur notre site OJS, mais le sont sur erudit.org, car Érudit ne permet pas de configurer un libre accès partiel. Ce problème sera résolu d’ici la fin de l’année 2025, date à laquelle Atlantic Geoscience sera véritablement en libre accès sur toutes les plateformes.
3. Avez- vous rencontré des difficultés particulières au contexte de votre revue ? Y a-t-il des aspects qui vous ont surpris ?
Atlantic Geoscience est unique en ce sens qu’il s’agit d’une petite revue régionale publiée sans interruption depuis 1965 grâce à une équipe essentiellement bénévole. Elle existait dix ans avant l’AGS et a été adoptée comme revue de la société en 1986. Le nom de la revue a changé plusieurs fois au cours des décennies, parallèlement à l’évolution des géosciences (vous pouvez lire ici l’historique complet – en anglais seulement). Je pense que la petite taille de la revue et de l’AGS, de même que leur culture partagée, ont facilité la transition au libre accès, si on compare avec une organisation plus complexe et comportant un personnel rémunéré plus important, par exemple. En ce sens, le contexte de notre revue a facilité le processus.
Il est encore tôt, mais nous pensons que le passage au libre accès offre à notre petite revue régionale une plus grande visibilité et une meilleure accessibilité dans le monde entier. Nous avions déjà anticipé et entamé cette transition en 2017, lorsque tous les volumes de la revue, à l’exception des trois derniers, sont devenus en libre accès. Depuis 2021, seul le volume actuel demeurait accessible sur abonnement. Le libre accès total était clairement l’étape suivante. Je regrette que nous ne l’ayons pas franchie plus tôt ! Une surprise que nous avons eue cette année, c’est qu’un nombre significatif de membres de l’AGS ont continué à faire un petit don à la revue dans le cadre de leur inscription à la réunion annuelle de 2025. Ce geste semble très positif et encourageant pour l’avenir.
4. Quels sont vos conseils pour les revues qui envisagent de passer au libre accès diamant et qui ont des contraintes financières plus ou moins importantes ?
En toute honnêteté, je pense que c’est la bonne décision pour tous les éditeurs à but non lucratif. Je pense que l’ensemble de la recherche devrait être accessible à qui le souhaite, et non seulement aux personnes qui ont les moyens de payer pour y accéder. Les chercheur·euse·s, qui consacrent généralement de nombreuses heures non rémunérées à obtenir du financement pour conduire leurs recherches (ou d’autres activités créatives), ne devraient pas avoir à payer pour publier et diffuser leurs travaux. Et surtout, les entreprises à but lucratif ne devraient pas manipuler le monde de la recherche, de l’innovation et de la créativité.
Nous sommes conscient·e·s de la chance que nous avons de disposer d’un coussin financier. Il résulte d’un ensemble de décisions prises par les rédacteur·trice·s au fil des ans, dont la plus importante a été le passage en 2006 à la publication uniquement en ligne, alors que nous étions l’une des premières revues à le faire. Si nous avions continué à imprimer et à envoyer la revue par la poste, la transition au libre accès n’aurait pas été financièrement viable. Nous avons d’abord offert aux abonné·e·s la possibilité d’obtenir une version papier en payant les coûts d’impression et d’envoi de la revue. Le nombre de ces abonné·e·s (principalement des bibliothèques) s’est progressivement réduit jusqu’à n’être que trois ou quatre au moment où nous avons mis fin à cette option cette année, au moment de notre passage au libre accès.
Cependant, même sans fonds de réserve, nous pouvons constater les avantages de la publication en libre accès. La gestion des abonnements a toujours été le plus grand casse-tête et la plus grande perte de temps dans le processus de publication. En adoptant le libre accès, tous ces problèmes chronophages ont disparu.
5. Comment imaginez- vous l’avenir d’Atlantic Geoscience, en particulier le défi d’assurer la relève de la revue, sa continuité et le transfert des connaissances ?
Nous sommes beaucoup plus préoccupé·e·s par ces aspects que par les finances ! Nous avons la chance que l’Atlantic Geoscience Society ait une forte culture d’engagement et de bénévolat qui a été transmise aux jeunes membres au fil des ans. Nous essayons d’encourager la participation à la revue en tant que « rédacteur·trice·s invité·e·s » pour l’édition de séries d’articles spéciaux sur des sujets particuliers, généralement issus du symposium annuel. L’AGS compte moins de 300 membres dont environ un tiers sont des étudiant·e·s. Beaucoup quitteront la région atlantique du Canada à la fin de leurs études. Néanmoins, les professeur·e·s d’université de la région publient depuis longtemps des articles avec leurs étudiant·e·s dans Atlantic Geoscience – tant que cela continuera, la revue devrait être viable.
Curieux d’en apprendre plus sur les revues savantes? Consultez les autres entrevues de la série « 5 questions avec… ».